Dans la plupart des chantiers de rénovation (qu’il s’agisse de construction neuve sur un ancien site ou de rénovation), des travaux de destruction de l’existant sont systématiquement réalisés. La destruction est préférée à la déconstruction pour des raisons de rentabilité (une grue sera toujours plus rapide qu’un homme pour détruire un mur) et parce que le coût du travail manuel nécessaire au réemploi des matériaux (déconstruire précautionneusement, nettoyer, reconditionner,…) est encore beaucoup trop important.
De ce fait, les matériaux neufs restent, la plupart du temps, trop peu chers par rapport aux matériaux réemployés, ce qui représente encore un frein au développement de ces pratiques de réemploi. De plus, ces dernières étant encore trop peu présentes, les sources d’approvisionnements sont encore anecdotiques à ce jour et tributaires du taux de renouvellement du bâti. Mais des initiatives sont en cours afin de changer cela. En outre, les enjeux de telles pratiques sont colossaux quand on considère les impacts environnementaux de l’extraction des matériaux, de leur transformation ou encore de la fabrication de composants tels les châssis, les groupes de ventilation, les composants électriques, etc.
De nombreuses entreprises, plutôt orientées électronique, tendent d’ailleurs à modifier leur business model pour s’orienter davantage vers l’urban mining (extraire des métaux rares de produits recyclés, dès leur fin de vie ou d’usage) plutôt que de s’approvisionner dans des circuits d’extraction minières traditionnels qui atteignent eux-mêmes leur limite compte tenu de la demande croissante de métaux rares.
CONCEVOIR CIRCULAIRE
Le secteur de la construction doit donc évoluer. La plupart des bâtiments construits à ce jour ne l’ont pas été dans un esprit de déconstruction lors de leur fin de vie. La quantité de matériaux réutilisable est dès lors assez réduite. La durée de vie d’un bâtiment pouvant être assez longue (on l’évalue généralement à 50 ans), les bâtiments construits aujourd’hui devraient déjà intégrer une conception qui s’inspire et repose sur les principes de l’économie circulaire. Ils en seront d’autant plus compatibles avec l’évolution des pratiques et réglementations futures.
La gestion de l’ensemble de ces matériaux réutilisés est un véritable chantier en soi également. Avant même la déconstruction, il faut inventorier chaque type de matériau présent, investiguer le mode de déconstruction pour éviter la casse, prévoir des espaces de stockage temporaires avant l’acheminement des matériaux vers des structures d’approvisionnement, elles-mêmes encore assez rares à ce jour. Un défi de taille, mais créateur de nombreux emplois !
En 2018, le CSTC publiait un document intitulé « Vers une économie circulaire dans la construction ». Cet outil d’une centaine de pages dresse les lignes directrices de la mise en application des principes de l’économie circulaire dans le bâtiment et passe en revue une série de démarches concrètes à adopter lors de la conception, de la construction ou de la déconstruction d’un bien immobilier. En vue de démontrer la faisabilité technique des méthodes de réemploi, il présente une série de projets dont la conception intègre des modes constructifs permettant le démontage et la réutilisation. Des matériaux particuliers sont également présentés, telles des briques de façade insérées sans cimentage dans un système d’accroche mural, rendant le démontage possible et rapide.
“ Dans une économie circulaire, on va d’abord essayer d’utiliser les bâtiments ou leurs éléments le plus longtemps possible. S’il faut vraiment démolir un bâtiment parce qu’on a besoin de construire autre chose, on va essayer de réemployer, de réutiliser ces éléments dans un autre bâtiment, parfois avec une certaine délocalisation, mais en réemployant l’élément tel quel. Prenons par exemple un élément en acier : on ne devra pas dépenser à nouveau de l’énergie pour le faire fondre et le recycler. On utilisera cet élément en acier tel quel, on gardera ainsi la valeur de main-d’oeuvre et l’énergie qui avaient été mises dedans pour la fabrication de l’élément d’origine. Une autre stratégie est de réduire ce que l’on utilise dans les nouvelles constructions, c’est une optimisation poussée concernant la quantité de matériaux que l’on va y utiliser, une réflexion en amont sur le fait d’avoir besoin d’un si grand bâtiment et d’autant de matériaux. Toutes ces stratégies viennent avant le recyclage. Et, si vraiment on ne peut plus rien faire d’un élément, c’est évidemment mieux de le recycler que de le mettre à la décharge. ”
Catherine De Wolf (chercheuse à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
LE PROJET FCRBE (2018-2021)
Si les techniques de conception et de construction peuvent évoluer pour intégrer la notion de « déconstruction » du bâtiment en fin de vie, il reste un défi de taille à gérer : le stockage et la mise en circulation des matériaux de réemploi. Le projet FCRBE (Facilitating the circulation of reclaimed building elements in Northwestern Europe), rassemblant des partenaires en Belgique, dans le nord de la France et au Royaume-Uni, avait pour but d’offrir des solutions à cette problématique.
Dans le nord-ouest de l’Europe, seul 1 % des matériaux de construction sont réutilisés après leur première mise en œuvre. Bien qu’un grand nombre d’entre eux soient techniquement réutilisables, ils finissent en filière de recyclage, broyés, incinérés ou enfouis. Le résultat est un impact environnemental considérable et une perte économique importante. Compte tenu de cette situation, le projet visait donc à porter à 50 % la part de matériaux réutilisés en circulation sur le territoire d’ici 2032.
Cette zone accueille des milliers de PME spécialisées dans la collecte et l’approvisionnement en composants de construction réutilisables. Malgré leur potentiel évident pour l’économie circulaire, ces acteurs font face à d’importants défis : visibilité, accès à des projets de grandes envergures et intégration dans les démarches de construction actuelles.
En vue de répondre de manière adéquate à ces défis, le projet a intégré la mise en place d’une collaboration internationale entre des entreprises spécialisées, des acteurs économiques, des centres de recherche, une école d’architecture et des administrations publiques. Cette collaboration s’inscrit dans le sillon de précédentes initiatives locales réussies.
Voici donc les différents guides qui en ont découlé:
- Un guide en anglais qui permet cette identification de potentiel de Réemploi d’éléments de construction
- Un guide pour “INTÉGRER LE RÉEMPLOI DANS LES PROJETS DE GRANDE ÉCHELLE ET LES MARCHÉS PUBLICS“
- Un ensemble de 36 fiches matériaux a été constitué, basé sur les matériaux et produits les plus souvent rencontrés dans les projets de réemploi. Ces fiches sont destinées aux architectes, designers, et autres prescripteurs de matériaux souhaitant s’outiller pour l’économie circulaire dans le bâtiment et l’aménagement. Elles sont disponibles en français si vous déroulez le lien.
- Les fiches présentant les projets pilotes dont 13 rien que pour la Belgique. Disponible en français également.
Circubuild a également édité un livre qui propose un état des lieux de la construction circulaire à Bruxelles et en Wallonie, à travers des études de cas, des présentations d’entreprises et sociétés proposant des produits, des services et des outils circulaires ainsi qu’une soixantaine de questions (et réponses) concernant la construction circulaire, dans des domaines aussi variés que la conception, les matériaux, l’aspect financier et la durabilité.
Enfin, le livre “Réemploi, architecture et construction – Méthodes, ressources, conception, mise en œuvre” est paru très récemment et est une mine d’infos pour tout qui souhaite s’y mettre! Vous pouvez découvrir ici quelques de cet ouvrage bien documenté.